L’association Bon Chemin par le Livre et l’Outil (ABOCHEM) se recueille avec reconnaissance et colère devant la mémoire de cette grande dame partie dans les conditions dégradantes que nous connaissons et qui sont indicatrices de la décadence de notre cité et du degré de déshumanisation qui nous dépouille de notre fierté jacmélienne. Beaucoup de femmes âgées entre 45 et 60 ans peuvent se souvenir des cours de français et des conseils de Madame Zenny au Lycée Célie Lamour. Les élèves et les enfants qui ont bénéficié de la carrière enseignante de Madame Zenny – à Taminou, au Collège Amine B. Zenny et au lycée – se comptent par milliers. Quand on prend le temps d’analyser le choix professionnel de Madame Amine B. Zenny et le poids des services qui en résultent nous comprenons – par ce crime l’ampleur du déclin dans lequel nous sommes plongés.
En cette circonstance qui révolte et déconcerte, ABOCHEM pense à celles et à ceux qui continuent encore et malgré tout de façonner les esprits dans des conditions très peu encourageantes. Elle agite des palmes et des lauriers vers d’autres icones du temple de Kairos comme Madame Bonard Posy, Me Marc D. Lamour, Octave Thébaud, Etzer Lolidor, Madame Marceleine Gay, Madame Andréane Bissainthe Roy, Daniel Jeudi, Madame Nicole Ancion. La liste est longue.
ABOCHEM qui est une association d’écoles est interpellée par l’assassinat impitoyable d’une enseignante octogénaire qui a servi sa communauté pendant environ 60 ans. Elle se demande s’il vaut la peine de choisir cette carrière déjà sous payée pour être ensuite tué dans une circonstance dépourvue d’aucune once de gratitude. Mais, en essayant de faire le balisage de la décadence de notre communauté elle a repéré et s’est permise de citer quelques causes qui méritent d’être adressées par les forces vives de la nation et particulièrement celles de notre ville.
Acceptation de la mutation sociale sans une réforme profonde du système éducatif
Nous avons accepté par pure imitation la mutation de notre société sans penser à modifier en profondeur notre système éducatif. Nos enfants continuent à mémoriser des pages d’histoire sans être capable de se les expliquer et arriver au pourquoi des faits historiques. Ils apprennent les sciences physiques et la chimie sans aucune manipulation, sans le moindre exercice expérimental. Ils étudient la géographie sans être capable de citer et de repérer sur une carte les communes de leur département, les sections communales de leurs communes. Ils rédigent de la dissertation philosophique sans être amenés à analyser les grands problèmes sociaux et comprendre les valeurs humaines.
Aucune mesure n’est prise pour exiger la scolarisation de tous nos enfants et empêcher la déperdition scolaire. Le processus enseignement-apprentissage caractérisé par l’anarchie et l’amateurisme entraine un gaspillage de cerveau, le marasme socioéducatif impropre aux progrès sociaux et à l’humanisme valorisant.
2. La mauvaise qualité de l’offre socioculturelle et politique
Nous sommes si imprudents avec les jeunes que nous avons préféré leur offrir le « Car Wash » ou le « Body Wash » party, le « Atè Plat », le « Tisourit » et le « krèy » au lieu de les orienter vers le théâtre, la musique éducative, la bibliothèque, les créations artistique et artisanales. Pour combattre nos adversaires politiques nous leur donnons des armes et d’autres outils pour chauffer le béton au lieu des espaces de réflexion pour le développement de leur pays. Au lieu de travailler à forger leur cerveau nous leur offrons des stupéfiants qui dérangent leur esprit, les déshumanisent au point qu’ils nous expriment de façon inattendue, violente, tragique et aveugle leur frustration et leur crise existentielle.
3. L’irresponsabilité des élites socioéconomiques
Dans toutes les sociétés ce sont les élites qui réfléchissent et qui donnent le ton. Il semble malheureusement qu’aujourd’hui les élites économiques, religieuses et intellectuelles sont trop préoccupées à sauvegarder leurs intérêts mesquins. Autrefois, la morale langagière et gestuelle était dictée par les élites. Les voleurs et les fauteurs de troubles étaient étiquetés, les prostituées indexées. Aujourd’hui, c’est la débandade et l’effervescence dangereuse. Chaque individu, chaque groupe essaie de se sécuriser à partir de ses propres moyens. Une démarche stupide et stérile face à la création des « G » des ghettos que nous avons-nous-mêmes encouragés.
Dans cette décadence inquiétante, nous avons tous notre part de responsabilité. Les éducateurs – à quelque secteur qu’ils appartiennent– pour ne s’être pas battus pour des curricula capables d’assurer le progrès et l’épanouissement de notre communauté. Le secteur politique pour n’être pas capable d’offrir et de suivre un bon programme de société. Le secteur des affaires pour n’avoir pas créé des entreprises industrielles aptes à enclencher le processus de développement du pays et à stimuler un apprentissage massif qui laisserait moins d’espace et moins de temps pour le désordre, le crime, la délinquance, les violentes manifestations.
Chaque famille, chaque groupe reste dans son espace et ne pense qu’à son propre bien être sans penser au bonheur de l’autre. Notre quotidien est dominé par l’égoïsme et l’épidémie capitaliste. Il est temps de monter un complot positif centré sur l’homme et la collectivité accordant à chacun une place où elle/il peut vivre avec respect et dignité. Si nous sommes amoureux de la vie nous devons nous concerter pour élaborer un autre programme social plus humain, plus intelligent, plus progressiste, plus associatif.
ABOCHEM a voulu par cette page saluer la mémoire de Madame Zenny qui a consacré sa vie à aider à construire la vie. En tant qu’association d’écoles elle a pensé que c’était de son devoir de dire adieu à Madame. Mais les circonstances de son départ a poussé l’association à faire en filigrane le procès de cette société en déconfiture en vue d’agiter le pouvoir des forces généreuses et génératrices de progrès et d’amour qui dorment en nous.
Paix et repos à son âme. Sit tibi terra levis !
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